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La légende de la Sorcière de Gassin

Description

Gassin... Le village des Sorcières... Savez-vous d'où vient ce nom ? Nous vous proposons une version de la légende…

 

Aux sources de la légende de la sorcière de Gassin

Il faut remonter loin dans le temps… au Moyen Âge peut-être… peut-être durant l’hiver 1348 pour découvrir les origines de la légende de la sorcière de Gassin.

La peste noire se répand depuis plusieurs mois en Europe. Déjà fortement présente en Asie, la maladie est ramenée par des marchands génois et touche toute l’Europe, le Proche-Orient, l’Afrique du Nord.

Depuis le port de Marseille, la peste se répand dans les campagnes de Provence. Aucun village n’est épargné. La forêt des Maures, pourtant difficilement pénétrable, ne protège pas le territoire : la peste est arrivée dans la presqu’île de Gassin.

Pour sauver leur vie, les Gassinois se résolvent à abandonner le piton rocheux où ils se sont installés deux siècles plus tôt. Ils se réinstallent dans les vieilles fermes de la plaine qu’ils avaient abandonnées pour fuir les razzias, dans les petites bergeries ou dans de petits abris dans les collines avoisinantes.

Chaque soir, un sentiment de tristesse envahit les villageois quand ils jettent un regard nostalgique vers leurs maisons qui disparaissent dans le noir des nuits profondes de cet hiver rigoureux. Ils songent à tout ce qu’ils ont dû abandonner dans leur foyer ; ils tremblent à l’idée des pillards qui profitent du désordre pour voler les biens et terroriser les gens. Mais le froid qui les saisit les contraint à se réfugier à l’intérieur.

Dans la bergerie de la Vignus, Adhémar s’est réfugié avec ses deux sœurs, Diane et Hélione, son frère Christol, et ses parents. Ce soir-là, le jeune garçon entendu du bruit dans la nuit. Il craint qu’un loup ne s’approche et, malgré la peur, il sort de son lit, faisant attention à ne réveiller personne dans la pièce, ni sa famille, ni les moutons qui ont été mis à l’abri pour la nuit. Malgré ses précautions, il réveille Hélione. La jeune fille le suit et lui demande à voix basse où il va ; malgré ses protestations, elle se décide à l’accompagner. Adhémar caresse le chien du troupeau pour le tranquilliser ; la bête jette un regard vers ses moutons et repose sa tête sur ses pattes.

Dans l’âtre où le feu se consomme, Adhémar saisit une branche enflammée et, d’un pas peu assuré, se dirige vers la porte, suivi par sa sœur.

Tous deux sont alors aspirés au-dehors.

Il n’y a rien dehors que l’air glacé et les ténèbres. Point de loup, point de monstre. Hélione se moque de son frère et de son imagination. Ils décident de faire le tour de la masure avant de se recoucher.

Après avoir passé l’angle, ils s’arrêtent stupéfaits. Hélione pousse un cri de surprise : là-haut, le village semble animé d’une vie surnaturelle. À travers les vitres, ils voient le feu des cheminées. Les maisons semblent déborder de lumière et de chaleur. Adhémar croit entendre crépiter les feux lointains et Hélione croit ressentir leur chaleur. La jeune fille tire son frère par la manche. Elle lui montre une sorte de boule de feu qui se déplace vers les maisons encore inanimées, qui s’animent peu à peu… Ils se regardent et s’interrogent en silence : ont-ils vraiment vu cette silhouette de vieille dame, eux qui sont si loin ?

Alertés par le cri, Honorat et Constance, leurs parents, ont rejoint leurs enfants. Ils restent sidérés et n’en croient pas leurs yeux. Voyant leur fils avec une branche embrasée, ils l’interrogent… Bien entendu, ce ne peut pas être lui.

Une rumeur peu à peu se répand et, sur les collines, les Gassinois bravent le froid pour assister au miracle.

Le lendemain, un groupe de villageois décide de veiller dehors. Emmitouflé dans plusieurs épaisseurs de vêtements, ils scrutent le village qui plonge dans la nuit. Le temps passe et plusieurs sombrent dans un sommeil, la fatigue du difficile labeur du jour a raison de leur curiosité. Tout à coup l’un des veilleurs chuchote à ses compagnons : « réveillez-vous, réveillez-vous ! ». Une lueur est apparue vers la tour de guet du village, tout au nord. Elle se dirige vers une première maison, où rapidement un feu gigantesque apparaît. Comme la veille, les maisons s’illuminent peu à peu au rythme de l’avancée de ces braises incandescentes que semble porter une vieille dame. Maisonnées, ruelles, porches : tous les lieux qui peuvent être embrasés s’enflamment. Cheminées, lanternes, bougies : tout ce qui peut brûler s’illumine. Bientôt tout le village a pris l’aspect d’un grand jour de fête. Il ne manque que la musique des troubadours et les cris de joie de la population.

Soir après soir, la vie reprend ainsi dans le village, au gré des pérégrinations de la vieille dame. Soir après soir, des villageois se rapprochent, retenus par la peur de la peste, mais résolus à découvrir qui fait vivre leurs habitations, mais aucun n’est assez téméraire pour aller plus loin.

Seuls Hélione et Adhémar décident un soir de percer le mystère. Ils ont choisi un jour de pleine lune et de beau temps : les étoiles illuminent le ciel. Ils se glissent hors de la bergerie dès la nuit tombée alors que toute la famille dort. À travers les champs d’oliviers puis de vignes, ils remontent vers le village. Ils se glissent dans le village par l’un des passages secrets et arrivent dans le village près de la porte des Sarrasins. Ils se cachent alors dans l’embrasure de la porte de l’église. Même si l’hiver s’éloigne, il fait froid. Le frère et la sœur se blottissent l’un contre l’autre, autant pour se réchauffer pour se donner du courage.

Le vent qui s’engouffre dans les venelles fait résonner comme un chant lugubre dans le fort désert. Plus le temps passe et la nuit avance, plus les enfants se recroquevillent. Ils regrettent maintenant d’être venus, ils songent à la maladie, la « grande pestilence » comme les grands l’appellent et tout ce qu’ils racontent sur ses ravages.

C’est Hélione qui vit la sorcière la première. La maison attenante à la porte des Sarrasins vient de s’illuminer. Par la porte, ils voient la silhouette qui s’avance dans la rue de la Tasco. Ils ont tellement peur qu’ils se tapissent plus encore dans l’encoignure de la porte. Mais l’apparition ne leur prête aucune attention. Elle remonte la rue après le passage du Guet. Hélione et Adhémar restent les yeux fixés sur les mains de la vieille dame. Elle tient en leur creux des braises incandescentes à même la peau.

Adhémar quitte le premier l’abri pour suivre la sorcière. Sa sœur le suit et ils progressent en silence derrière la vieille dame, sa cachant dans les recoins du rempart, derrière un arbre ou dans l’entrée d’une maison. Les voilà revenus à la porte des Sarrasins. La vieille dame poursuit son chemin dans les ruelles. Alors qu’elle se trouve au puits, elle descend encore vers la maison de Rollet, le troubadour du village…

Hélione et Adhémar connaissent bien la rue vers laquelle elle se dirige enfin : c’est l’Androuno, une rue si étroite que même leur petite sœur, Diane, ne peut pas y passer de face. La dame effectue une dernière halte dans le grand moulin du village : tout le village est illuminé.

La sorcière se dirige vers le chemin de l’Arlatane, le bois situé sous le village. Adhémar et Hélione se concertent : ils hésitent à la suivre vers la forêt, où ils ne disposeront plus de la lumière de la nuit. Et puis ils ont entendu dire que la forêt de l’Arlatane est magique et qu’il ne faut pas y aller. Malgré le froid et la fatigue, leur crainte des animaux et de la sorcière, leur curiosité l’emporte et ils se lancent à la poursuite de la vieille dame. Elle semblait jusqu’ici glisser sur les vieux pavés ; ils ont maintenant l’impression qu’elle vole au-dessus du petit chemin de terre.

S’éclairant toujours des braises, la sorcière s’enfonce dans les bois et prend le sentier des Sources. Les deux enfants courent presque désormais pour ne pas la perdre de vue. Le chemin s’enfonce dans la forêt avant de déboucher enfin sur la grande clairière. Ils ne stoppent qu’à quelques mètres de la source de l’Arlatane où s’est arrêtée la sorcière. Ils s’accroupissent derrière un bosquet de bruyères pour observer la sorcière, qui s’accroupit lentement. Elle ne bouge plus pendant un moment ; il leur semble qu’elle parle doucement, comme si elle récitait quelque chose, mais ils n’arrivent pas à comprendre le moindre mot. Après quelques instants de silence, elle plonge ses mains dans la source où les braises disparaissent. Grâce à la lumière du clair de lune qui se reflète dans la source, Hélione voit que le visage crispé de la vieille dame est désormais totalement détendu, comme si le fait d’avoir trempé ses mains dans la source lui avait apporté un grand soulagement.

Adhémar, en se levant pour mieux observer la scène, brise une branche morte. Il se fige d’effroi alors que la vieille dame se retourne vers lui. Il s’imagine qu’elle le fixe du regard et qu’elle va le pétrifier. Il n’a pas le temps de réfléchir si, dans la nuit, la vieille dame peut le voir.

« Adhémar… Adhémar ». Hélione appelle son frère figé pour le faire revenir à la réalité.

La vieille dame s’est enfuie dans la nuit.

« Viens, elle a fait tomber quelque chose », lui murmure-t-elle en s’approchant de la source.

Dans l’obscurité, elle aperçoit un carré blanc qui se détache nettement sur le sol, juste à côté de la source. Elle s’en empare alors que son frère l’attend. Il lui indique qu’ils pourront rentrer par le chemin de la Chapelle, qui se trouve juste au-dessus de la bergerie, en passant par le chemin du Vallat : ce sentier est à découvert, ils pourront se retrouver plus facilement que s’ils faisaient demi-tour dans la forêt.

Le lendemain, les deux frères et sœurs se retrouvent, à l’écart de la famille. Hélione sort de sa poche l’objet qu’elle a ramassé la veille. Ils regardent avec crainte ce tissu, qui ne ressemble à rien de ce qu’ils connaissent. Le carré possède sur ses bords une dentelle d’une extrême finesse ; elle forme des motifs mystérieux. En lettres étranges, au bas du mouchoir, ils parviennent à déchiffrer un prénom : « Ayssalène ».

Peu après, le seigneur de Gassin, Jacques de Castellane, en accord avec les représentants de la communauté villageoise et le médecin de Grimaud, autorisa le retour des villageois dans leur maison. Chacun pu constater que les bougies, les cheminées, les lanternes, étaient telles qu’ils les avaient laissées à leur départ. Aucun pillage n’avait eu lieu et rien n’avait bougé dans les maisons.

Quelques villageois tentèrent d’éclaircir le mystère de la sorcière, mais le temps des travaux des champs était revenu : la taille des oliviers, la surveillance de la montaison des blés, le travail dans les vignes, les vergers ou la préparation de la montée des moutons aux alpages… chacun retourna à ses occupations.

Personne ne fut jamais au courant du secret d’Hélione et Adhémar : celui d'Ayssalène et de la source magique de l'Arlatane. Les deux enfants placèrent le tissu dans un petit coffre qu’ils cachèrent près de la bergerie où la famille gardaient ses moutons avant de partir pour la transhumance.

Depuis ces temps lointains, les sorcières ont fui sur leur balai de bruyères. L’eau de la source coule paisiblement à l’Arlatane… Mais certains soirs d’hiver, quand le village est inhabité, il se dit qu’une lueur étonnante apparaît parfois, comme si tous les foyers étaient allumés…

 

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